Nous devons faire la critique du logement

Tout ce que l'on entend à propos du logement, que ce soit pour les sans domicile fixe (pourquoi au fait : sans domicile « fixe » ?), les sans-abri ou les mal-logés, c’est qu’il en manque, que beaucoup ne peuvent pas payer les loyers demandés et qu’il faudrait construire de nouveaux logements ou restaurer ceux qui sont dégradés pour les mettre en location. Et les professionnels de la politique, même les plus engagés, s'en tiennent à ça seulement : l’obligation faite aux villes de construire des logements sociaux, la réquisition des logements inoccupés, l'attribution d'aides et d'allocations pour les loyers.

Pourquoi personne ne parle de gratuité pour le logement ? Il existe des systèmes de gratuité pour l’école, des systèmes de gratuité pour les transports, des systèmes de gratuité pour la santé, pourquoi pas pour le logement ? Pourquoi pas un logement gratuit pour tous ?

Le fait de pouvoir vivre sous un toit ne devrait plus passer, pour personne, par l’humiliation des systèmes d'aides et par l'affreuse obligation de réclamer.

Une société comme celle-ci où, pour vivre, une partie de plus en plus importante de la population doit se plaindre et implorer en permanence, finira par connaître cette humiliation à tous les niveaux. Vous verrez qu'un jour ou l'autre la supplique et la dépendance deviendront la condition générale.

Parmi nous, sans parler de ceux qui n'ont pas de travail, il y a de plus en plus de gens qui n'arrivent pas à payer leur loyer directement sur leur salaire, sans les aides ; tout cela va s'étendre encore et risque de se généraliser ; non, franchement, pour le logement, il n’y a plus d’autre solution que la gratuité.

On entend ceux qui s'opposent à l'idée de gratuité. Ils disent : "le logement ce n’est pas qu'un toit sur la tête, c’est un symbole", "le logement, c'est à chacun la récompense de ses efforts, de sa volonté et de son mérite personnel". "le logement et sa qualité sont un bénéfice du travail individuel", "le logement c’est une chose sacrée, on ne peut pas la dévaluer comme ça"…

À ceux-là, nous disons : B.A.S.T.A ! Il faut arrêter… Le travail n'est plus depuis longtemps le centre de notre société, pourquoi sinon serions-nous des millions à ne pas en avoir ? Alors, la valeur ancienne accordée au logement, en tant que récompense du travail, n'a plus de sens. Et ceux qui y resteront malgré tout attachés, pourront toujours concentrer leurs efforts s'il le souhaite sur l'achat ou le loyer d'un logement différent, qui leur paraîtra toujours mieux que ceux gratuits, du simple fait qu'ils auront payé pour l'avoir.

Cette vieille valeur de distinction sociale donnée au logement est un poison de l’esprit dont il faut se débarrasser. Pour l’expulser des têtes, nous devons identifier clairement les mécanismes qui sont à l’œuvre dans la possession ou la jouissance d’un logement.

Nous devons dire clairement ces mécanismes parce que ce sont ceux-là mêmes qui gouvernent l'ensemble du monde désormais. Nous devons les dire clairement parce que ce sont ces mécanismes, justement, qui nous ont amenés là où nous sommes aujourd’hui : dans une guerre de tous contre tous.

Regardons à quoi ressemble ce fameux logement. Une porte le sépare de l’extérieur. Quand vous poussez cette porte depuis le dehors ou que quelqu'un vous l’ouvre depuis le dedans, vous tombez sur un vestibule. Petit ou grand, prétentieux ou minuscule, mais toujours un vestibule. Les gens y mettent une lampe, un téléphone, souvent il y a des compteurs, au-dessous, on fait pendre ses clefs, quelques fois encore un baromètre. Il y a les vestes et les bonnets, les chaussures de pluie et les parapluies. Une poussette, des vélos ou une canne. Et à partir de ce vestibule, le logement tout de suite sépare la vie en deux domaines bien distincts : l'un pour préparer à manger, pour manger, regarder la télé, recevoir des parents ou des amis, l'autre pour dormir, faire les devoirs, s’accoupler ou être malade. Le logement cloisonne la vie en une série de fonctions élémentaires : se nourrir, se reposer du travail, éduquer à l’obéissance, se reproduire. Dans le logement tout est fondé sur une conception simplifiée et disciplinaire de la vie : la discipline des parents comme figure de la discipline patronale !

Quand vous poussez la porte du logement, c'est dans un MOULE que vous entrez ; un moule destiné à préparer, encadrer et entretenir la discipline du travail industriel… encore aujourd'hui et alors que ce travail-là n’existe plus ou presque plus !

Tout cela pour dire qu'il n’est même plus suffisant, même pas satisfaisant, qu'un logement soit gratuit. Payant ou gratuit, nous ne pourrons nous accommoder de ce qui n’est bon ni pour notre santé ni pour notre équilibre. Point. Point.

Il nous faut faire les choses dans l'ordre : d'abord revoir de fond en comble ce que l’on appelle un logement, ensuite, le rendre entièrement gratuit.

Nous devons nous reposer la question des inconvénients du logement tel qu’il est encore conçu, tel qu'il est dessiné et tel qu'il est bâti. Nous devons voir comment et dans quelle mesure le logement reste compatible avec les nouveaux modes de vie, qu’ils soient communautaires ou pas, traditionnels ou non.

On bâtit à partir de ce que tout le monde s’accorde encore à appeler un logement. Mais ce logement ne convient pourtant qu'à une seule et unique forme de relations dans la famille ou le couple. Jamais à d’autres. Il est présenté comme ce qu’il y a de mieux et comme NORMAL, mais ce n'est qu'une idée parmi tant d'autres possibles. L'idée unique de logement qu'on nous impose, nous impose à son tour une conception unique de la vie, de famille ou de couple.

Le logement – toujours et seulement présenté sous ses aspects pratiques et fonctionnels - n’est que la traduction matérielle d’une idée unique de la vie humaine. Il est le moyen d'imposer cette idée à tous et de la reproduire indéfiniment.

Naître, grandir et vivre dans cette norme d’habitation n’est pas naître, grandir et vivre dans un cadre fait pour l’épanouissement de nos vie ; c'est naître, grandir et vivre dans le cadre d'une discipline, c'est rester dans la frustration et le formatage de l’existence. Ce cadre, il faut le rejeter. Il nous revient de le rejeter.

Il nous revient d'imaginer et de définir ensemble ce qui nous paraîtra mieux adapté et plus intéressant, plus ouvert à d'autres expériences de la vie ; plus libre, dégagé de toute idée préconçue sur comment nous devons vivre.

Il nous revient de l'expérimenter dès que l’occasion se présente, dès qu’un chantier de construction est annoncé, comme ici, en ce moment : il faut mettre notre grain de sel, discuter. Empêcher que cela soit décidé entre experts, ces porcs de spécialistes qui se croient autoriser à dire ce qui est bon pour NOUS TOUS. Ce n'est pas bon pour nous tous! Ce n'est bon pour personne. Ce n'est bon que pour les affaires, pour le business de ceux qui emploient les soi-disant experts et qui les inspirent.

Il nous revient d'ouvrir maintenant la réflexion, par la discussion, sur ce que nous impose le type de logement où nous habitons : Quelle façon du vivre ensemble au détriment de quelle autre ? Quelle sexualité nous est-il donné d'y vivre et laquelle s'y trouve de fait interdite ?, Quel modèle de famille, quelles relations affectives ? Quel rapport à l’autorité, à la réclusion, au pouvoir ? Quel rapport aux traditions et à ce qui est nouveau ? à ce qui ouvre l’esprit et à ce qui le ferme ?

Décider d'un logement, c'est décider de tout cela. Décidons par nous-mêmes !!

Merci.