Watt's To Be Done

 

IL YA ENCORE DES QUESTIONS / WATT'S TO BE DONE (?) / (VLADIMIR ILLITCH)

- C’est au moyen d’une écriture et d’un propos assez étrangers aux formes classiques de la pensée théorique que Eldridge Cleaver se fait connaître comme écrivain radical, noir et engagé. Il y dit que le viol d’une blanche par un noir est un phénomène politique en ce sens qu’il est le résultat au plan criminel et sexuel d’un fait séculaire d’oppression. Où en sommes-nous maintenant ? Il ne semble pas que ce phénomène soit commun aux jeunes gens des ghettos occidentaux. 

- En quoi la notion de «ghetto» 2 est-elle plus appropriée que tout autre pour qualifier la situation que vivent à présent les populations des grandes cités HLM construites dans les années soixante. cela comporte évidemment un aspect urbain, celui de la séparation, de la pauvreté, du manque de services en tous genres, mais au-delà, peut-on parler d’une politique de ségrégation? Peut-on parler de ghetto au sens de moeurs de ghetto et quels sont-ils ?

- On conteste de moins en moins la situation de ghetto ou se trouvent les populations que l’on disait il y a peu «des cités», «des banlieues», «des grands ensembles», etc. Mais cette appellation n’est-elle pas chargée de représentations qu’il faut interroger. Par exemple l’idée de ghetto n’implique-t-elle pas celle d’homogénéité de population, donc d’endogamie, d’inceste élargi ? De quelle façon cette situation agit-elle sur la vie sexuelle, raciale et politique mélangée des habitants ?

- Mohamed Ali, ex Cassius Clay, le boxeur philosophe et militant, engagé dans le mouvement Black Muslims déclara lors d’une émission Apostrophe où il était invité :
«Je suis américain, l’Amérique est mon pays parce que ce pays ce sont les noirs aussi qui l’ont fait au prix du racisme, de l’esclavage, de l’humiliation. Ils ont souffert pour ça et il leur appartient aussi». Cet argument pourrait-il être repris à leur compte par les enfants d’immigrés venus en France au cours des années antérieures ?

- Pratiquement – entendons par là du point de vue d’une possible transformation des conditions sociales d’existence – à quoi cette hypothèse de précession du genre sur le sexe et de précession de la race sur la couleur nous amène-t-elle ? Comment devons-nous considérer le sujet en lutte de ce point de vue ? Est-il sujet ou objet de la lutte, comment pourrait-il être sujet et objet de sa propre destruction ?

- Est-ce que l’alliance objective (en dépit d’oppositions souvent radicales sur d’autres plans) entre la lutte des noirs américains, des homosexuels et des féministes reste à l’ordre du jour ? les résultats obtenus et les promotions constatées des uns et des autres vont-elles dans le sens d’un réel pas en avant ?

- Doit-on attribuer l’extrême sensibilité contemporaine aux crimes sexuels (et la montée en régime de cette notion) aux progrès, suite aux luttes d’émancipation menées en ce sens, de la conscience collective. Comment analyser, dans ce que l’on pourrait plus généralement appeler «les plaintes et délits sexuels» la nature fortement passionnelle des affects qui s’y déploient ? L’affaire Strauss Khan étant de ce point de vue un exemple à la portée de tous.

- La pornographie est, on le sait, la cible quasi-unanime des critiques féministes. Mais pas seulement d’elles : il existe une critique religieuse unanime, une critique des philosophes et une critique que l’on pourrait dire ancrée dans l’opinion de la classe moyenne se disant hostile à la pornographie au nom de l’érotisme et ne détestant pas pour autant ce qu’on, appelle le porno chic. Cela fait un front peut-être trop large pour être honnête, non ?

- Si «le genre précède le sexe» selon ce que disent les actuelles théoriciennes féministes, du fait que le rapport de domination est premier et qu’il articule l’existence du sujet sur la répartition en sexes morphologiques et sur la division sexuelle du travail (celle qui va de l’actif/ passif dans la sexualité aux tâches sociales en passant par les tâches ménagères). Ne faut-il pas lire les autres rapports de différenciation sociale de la même façon : races, peuples, etc...

- Comment penser aujourd’hui une articulation entre les actions critiques de déstabilisation des rapports de domination existants au plan des conduites sociales qui répètent inlassablement les gestes déposés de la domination et les luttes pour une dignité reconnue et une existence sociale à part entière des immigrés, enfants d’immigrés et enfants des ghettos ?

- Le style «gangsta» qui développe les thèmes populaires du voyou héros, de la haine des flics, du romantisme rebelle, du goût pour l’oisiveté et la sexualité de tripot s’est imposée d’une manière apparemment irrésistible dans la représentation des noirs dans les clips musicaux de rap et jusque dans la mode ou les supports publicitaires. Il y a là sans doute plus d’une chose à lire du point de vue de la situation sociale des noirs au regard des rapports actuels de domination et de la collaboration de certains à la réassignation du noir au rôle de repreneurs-restaurateurs des valeurs perdues des blancs comme autant de conquêtes émancipatrices.

- Tout ce qui se pense de neuf aujourd’hui en matière de compréhension des rapports sociaux de domination et de sujétion semble se penser «entre soi» c’est-à-dire entre personnes regroupées dans des mouvements fermés sur eux-mêmes. N’y a-t-il pas là une contradiction ; d’abord sur le plan des possibilités concrètes d’action – la faiblesse des agencements et par conséquent des forces en jeu – mais aussi, en dépit de ces avancements en termes de menace d’anémie de la pensée si celle-ci ne s’expose pas à l’universel.

- Quel rapports la sexualité et les rapports qui en découlent – tels que le maintien de son ordre et les luttes pour le détruire ou s’en dégager - entretiennent-ils avec l’habitat ? Entendons par habitat non seulement le quartier, la ville, la maison comme cadre puissamment significatif mais aussi leur disposition pratique à accueillir une vie sexuelle et par conséquent aussi les rapports sociaux qui accompagnent celle-ci ?

- À présent que le niveau moyen de consommation se trouve garanti, en France notamment, par des prestations sociales de compensation qui assurent le maintient de l’achat de marchandises, n’est-on pas en droit de penser que les luttes sociales ont perdu le caractère hautement moral – celui de la justice en matière de moyens d’existence – qui leur assurait une audience quoi qu’il en coûte. Est-il envisageable de réinscrire les luttes à venir dans une telle dimension morale, lorsqu’il s’agit d’aborder d’autres axes de combat tels que les rapports de sexe, de jouissance, de respect mutuel, etc. Et d’ailleurs, d’une manière générale, la morale n’est-elle pas un handicap lorsqu’il s’agit de conquête ? 

- Où commence et où finit le corps, à la peau, au territoire imaginaire de l’égo ? Que signifie en réalité cette phrase : ceci est mon corps ? Et pourquoi l’entend-t-on sans cesse prononcée aujourd’hui comme une sorte d’invocation à la liberté, pas seulement chez les danseurs. Quel rapport y a-t-il entre la liberté et le corps ? Le corps est-il libre «en soi» Et qu’est-ce qui s’entend ou veut se faire entendre sous ce mot ?

- Qu’entendez-vous au juste par ce mot : «émancipation» (émancipation sexuelle, de genre, raciale, familiale, économique, etc.) ? Doit-on comprendre qu’il s’agit d’émanciper des catégories (femmes, noirs, homosexuels, enfants, pauvres, assistés) de leurs tutelles pour les rendre libres ou aider les intéressés à se libérer de leur catégorie précisément (s’émanciper de la couleur, du sexe, du genre, de la race, etc ? Comment considérer ce qui est présenté comme des progrès dans ces domaines ?

- On entend beaucoup parler aujourd’hui de droits universels (de l’homme, de la femme, des animaux, etc) comme des acquis de civilisation. Et du même coup, on désigne d’autres civilisations (africaines, moyen-orientales, orientales) comme arriérées (en retard, en somme) au nom de ces droits. En général on ne parle d’ailleurs pas de civilisation à ce propos, mais de pratiques (phallocratiques, religieuses, rituelles ou superstitieuses) Mais comment lire tout ceci, comment saisir l’objectif réel de ces nouvelles conquêtes.

- Comment aborder cette question : «qu’est-ce que la sexualité chez l’autre ?» Y a-t-il un autre possible à ce que nous entendons par sexualité, un autre c’est-à-dire une personnalité qui diffère non seulement de soi mais aussi de l’autre en tant que possible partenaire. Où commence et où finit l’altérité de l’autre où commence-t-elle à être assez acceptable en somme pour pouvoir être nommée «autre» ? En définitive : où est-il l'autre, dans quel espace, et à quoi ne ressemble t-il pas ?

- Que peut-on dire aujourd’hui de la «libération» ? Peut-on dire, au vu des résultatsdesluttesdelibération 14 antérieures que c’est une fausse route qui ne conduit qu’à l’exténuation du désir et de ce que l’on voulait préserver ? La contradiction n’est-elle pas dans le fait de vouloir libérer ce qui existe au détriment de conquérir - ou même seulement imaginer - cequi n’existe pas encore ? Ne peut-on penser aujourd’hui la libération sexuelle autrement que sur le mode de la publicité pour Sony  ; «vous en avez rêvé, le capital l’a réalisé...»

- L’argument de Pasolini pour étayer ce qu’il a nommé son abjuration de la «Trilogie de la vie» est le suivant : le capitalisme hédoniste à fait du sexe sa marchandise emblématique, il l’a prostitué. Comment penser aujourd’hui cet acte qui a toutes les formes et la radicalité politique que l’on peut espérer d’un poète ? Celle-ci laissant entrevoir une curieuse figure de la sexualité - et de l’homosexualitéen particulier - comme innocente, joueuse, ingouvernable et politiquement subversive.

- Du film Salo, de Pasolini, Michel Foucault n’a voulu voir que 15 l’illustration manquante et manquée car impossible, l’oeuvre de Sade. C’est une chose étrange, car, dans Salo, Pasolini cherche à mettre à jour cette problématique spécifique selon lui au pouvoir : son rapport au sexe comme fantasme d’un usage sans limites des corps, aboutissant au crime dès lors qu’il rencontre son impuissance à en jouir.

- Dans le rapport du politique au corps il y a un hiatus : le corps est déjà une production particulière du politique ce qui place la gestion politique des corps dans une continuité «de toute façon» du rapport de domination et quoi qu’entreprenne telle ou telle politique. Envisagé de cette façon comment envisager politiquement l’abandon du corps à l’ennemi ? Comment sortir du corps ? Quelle stratégie de désertion envisager (Giap) ?

- Placer la question de la sexualité avant la question politique a 16 toujours été considéré comme un scandale, comme une démission devant la rigueur exigée par la politique ; notamment du fait de cette interprétation qui considère que le sexe est la faiblesse de l’homme. Mais qu’en est-il au juste du rapport entre sexualité et politique, la révolution peut-elle être associée à la jouissance des corps ? N’est-elle qu’ affaire d'âme ?

- Par rapport aux supports théoriques des mouvements en lutte des années soixante, n’y a-t-il pas dans les diverses directions prises par les mouvements contemporains de radicalisation théorique et politique liés à la marginalité un aspect nouveau qui est dû à leur caractère d’abord universitaire ? Et à la représentation majoritaire et déterminante d’une pensée féministe - qu’il s’agisse de déviance, de lutte anti-psychiatrique, d’homosexualité, de transsexualité. 

- Quel effet peut-on ou doit on attendre de la théorie aujourd’hui ? La conviction est-elle du même registre aujourd’hui c’est-à- 17 dire dans un monde connecté en permanence, qui échange, discute et rectifie sans cesse, qui semble même s’épuiser dans la glose et le commentaire en ne parvenant jamais à un point de stabilisation de ses convictions. L’autorité conférée à l’individu n’est-elle pas incompatible avec la conviction nécessaire à un soulèvement subversif ?

- Il existe dans la pensée féministe et homosexuelle un certain nombre de manifestes (Scum, Cyborg, Queer Zone) qui font référence par leur radicalité et souvent leur étrangeté. Une telle orientation de la pensée, qui n’entend pas nécessairement convaincre le plus grand nombre et s’attirer des fervents mais plutôt pousser dans le langage les choses à leur extrémité n’est-elle pas plus poétique que politique ? Ne vise-t- elle pas en définitive à s’accomplir dans l’abstraction du langage en renonçant d’emblée à sa réalisation concrète dans la société ?

- Il serait inconcevable de ne pas tenter d'analyser ici la violence des  réactions qui accompagnent la reconnaissance en France de la théorie du genre et plus particulièrement de l’introduction de cette théorie dans les manuels scolaires de la rentrée 2011. Le front d’opposition à la présentation de la théorie du genre particulièrement dans les manuels de svt et dans les manuels scolaires en général est d’une ampleur qui rappelle assez celle du front contre l'avortement.

- Un fait est rarement mis en avant : le désordre comme valeur cardinale du vivant. Créer du désordre dans les habitudes de penser par l’introduction du nouveau, de l’imprévu, de l’absurde, du choquant, de l’incongru ou du décalage avec le bon sens n’est-il pas en définitive le moyen de donner des ouvertures nouvelles à l’esprit que celui-ci peut alors emprunter pour engendrer des théories et des pensées non encore imaginables dans l’état continué des choses ?

- On voit assez bien ce que peut être une désobéissance généralisée s’appliquant à tous les aspects de la vie sociale qui réclament notoirement obéissance (aux catégories, aux normes). Mais ne faut-il pas envisager de désobéir aussi à ce dont a coutume de profiter ? En d’autres mots, est-il si facile de repérer chez soi une attitude d’obéissance si on la croit sincèrement librement consentie ou profitable pour soi sans dommage ni contrepartie ? Comment convaincre et de quelle façon pour parvenir à une désobéissance envers les prestations d’aide publique telles que les Assedic, les allocations familiales, l’école, etc. ?